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16 juin 2024


 

 

 

 

Quand J.P. McGowan revendique la paternité de "From the Manger to the Cross"


Faisant des recherches sur les conditions de l'exploitation de "From the Manger to the Cross" sur tout le territoire américain, je tombe sur un article du Birmingham Post Herald, un quotidien de la plus grande ville de l'État de l'Alabama, (132 000 habitants en 1910), coincé entre la Géorgie à l'est, le Tennessee au nord et le Mississippi à l'ouest.

Un gros titre sur cinq colonnes attire mon regard : "Sur les traces du Christ, dans des lieux rendus sacrés par la présence du Sauveur", accompagné de trois photos du film de la Kalem. Le chapeau précise : "J.P. McGowan, réalisateur pour la société Kalem, aujourd'hui à Birmingham, raconte la production d'un film décrivant 
la vie du Christ dans les lieux où le Sauveur a vécu 
et a été crucifié - il décrit le pays et les 
autochtones tels qu'ils sont aujourd’hui."


l'article en entier

Le journal est daté du 29 décembre 1912. L'exploitation de "From the Manger to the Cross" a débuté de manière embryonnaire. Après l'avant-première à New York le 14 octobre, le film a d'abord été montré à Baltimore (Maryland) pour deux semaines, à partir du 25 novembre. Alors pourquoi pas à Birmingham en cette fin d'année? Non ! le journal précise que le film devrait être projeté dans les trois prochains mois. Il le sera les 21, 22 et 24 mars 1913.

En fait l'actualité réside dans la présence de J.P. McGowan à Birmingham. L'acteur, membre des O'Kalems et des El Kalems, bref, le compagnon de route de Sidney Olcott, a été nommé réalisateur, après la démission  de son mentor.
Avec la bénédiction de la Chambre de commerce locale, il doit y tourner des films et souhaite faire de "la ville magique", le surnom de Birmingham, une nouvelle place du cinéma, à l'instar de Jacksonville (Floride), la base hivernale de Kalem. Lubin est déjà dans la place. Il est normal que le journal l'interroge sur sa carrière et ses projets.

Ce qui est surprenant c'est le contenu de l'interview. Je cite :

« Mon garçon, (McGowan s'adresse ainsi à Richard F. Lussier, le journaliste) chaque activité professionnelle, qu'elle soit petite ou grande, est représentée par une échelle au sommet de laquelle nous tendons continuellement les yeux et déployons toute notre énergie pour y prendre pied. Il se peut que lorsque nous nous trouvons en sécurité dans cette position convoitée, les conditions toujours changeantes du temps aient ajouté à l'échelle d'autres barreaux. Et c'est ainsi que nous continuons à monter, en essayant toujours de saisir l'insaisissable oiseau du succès.
« En 1911, j'imaginais que mes productions irlandaises avaient placé ma compagnie des O'Kalems sur la plus haute marche, et si l'opinion publique est un critère de succès, nous étions sûrement établis. Mais plus tard, en Haute-Égypte, lorsque l'idée a été avancée de produire la Vie du Christ dans son intégralité, quelques échelons ont été ajoutés à l’échelle. Je crois que nous avons gravi les échelons supplémentaires en produisant un film remarquable - le plus remarquable jamais réalisé, selon les critiques les plus compétents. ‘From the Manger to the Cross", 5 000 pieds de pellicule décrivant la vie de Jésus-Christ de Nazareth, dans les scènes réelles où il a vécu il y a 2000 ans, pour un coût d'environ 130 000 dollars en six mois, est la réalisation dont je suis le plus fier. »



Et voilà ! On apprend dans cet article que les films irlandais de la Kalem sont dus à J.P. McGowan... Et mieux ! qu'on lui doit aussi "From the Manger to the Cross". "La réalisation dont je est le plus fier", dit-il. Et l'Australien donne des détails sur le tournage. Le tribut dû à l'œuvre du peintre James Tissot : « C'est là que réside la clé de notre succès. Rien de ce que j'ai fait ne m'a jamais autant fasciné et, avec le travail de Tissot comme base, sa devise comme la mienne, et les champs vierges d'Égypte et de Palestine à portée de main, respirant l'air même du romantisme spirituel, nous avons senti que notre travail était vraiment bien entamé. »
 
La première scène tournée près des pyramides de Gizeh ; l'obligation de se rendre en Angleterre pour engager 10 acteurs supplémentaires. Au passage il ne cite même pas Robert Henderson Bland, le Christ à l'écran.
Tout juste évoque-t-il, rapidement, Gene Gauntier dans le rôle de la Vierge Marie...
Pas un mot sur Sidney Olcott ! Et McGowan conclut : « J'ai été ravi de la dignité et de la manière révérencieuse avec laquelle les différentes parties ont été jouées, et alors que nous visitions les différents lieux et que nous réalisions que les scènes représentées étaient véritables, que nous marchions sur le terrain même foulé par notre Sauveur, le temps semblait revenir en arrière et nous nous sommes perdus dans l'histoire d'il y a 2000 ans. »
Quelle mouche a  donc piqué J. P. McGowan pour s'approprier ainsi le travail, que dis-je, l'œuvre de Sidney Olcott ? L'homme qui lui a mis le pied à l'étrier. On écarte d'emblée le canular. L'article n'est pas une invention du journaliste de Birmingham. On imagine aisément les réactions qu'il aurait forcément engendré. Et puis, ce long papier fourmille d'anecdotes et de détails authentiques sur le tournage du film.



McGowan agit-il de sa propre initiative ou est-il en service commandé ? L'exploitation commerciale de "From the Manger to the Cross" est en effet particulière. Sidney Olcott, le producteur, réalisateur et acteur du film, Gene Gauntier, son actrice principale et scénariste, Jack J. Clark, acteur principal et Allen Farnham, le directeur artistique de la troupe... Tous ces éléments essentiels ont démissionné avant même la sortie du film.
Certes Olcott et les siens sont présents dans l'auditorium des magasins Wanamaker, 770 Broadway, lors de l'avant-première du film. Mais après, ils ne sont plus là pour assurer sa promotion.
Conséquence: Kalem va anonymiser "From the Manger to the Cross". Il n'a pas de générique.

Une seule fois les noms d'Olcott et Gauntier sont associés au film. Dans Kalem Kalendar, le quinzomadaire que la compagnie destine aux propriétaires de salle de cinéma. Daté du 1er octobre 1912, l'article en page 8, relate le retour des El Kalems à New York. Il décrit par le détail et de manière élogieuse le rôle de chacun: réalisateur, acteurs, directeur de la photo, directeur artistique et les prouesses qu'ils ont accomplies notamment en Terre Sainte.
lire l'article en entier

Après c'est silence radio. Le Kalem Kalendar évoque bien la carrière de cette Vie du Christ sans jamais l'associer à un nom.
Kalem a-t-il demandé à McGowan d'endosser le costume de patron des El Kalems ? Ou l'Australien a-t-il pété un câble ? Je l'ignore. En revanche, je n'ai pas trouvé d'article similaire dans un journal d'un autre État. Les propos de l'Australien n'ont visiblement pas franchi les frontières de l'Alabama. Ils étaient sans doute tellement improbables qu'ils n'ont pas été repris. Car n'importe quel journaliste, connaissant un peu le cinéma, savait que le patron des O'Kalems et des El Kalems était Sidney Olcott et personne d'autre. Richard F. Lussier du Birmingham Post Herald l'ignorait sans doute.

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