31
mai 2022
A Daughter of
Old Ireland : le film totalement oublié de Sidney
Olcott
Auteur d’un livre sur la carrière irlandaise de Sidney
Olcott, j’étais persuadé avoir suffisamment déchiffré le
sujet au point de penser que je l’avais épuisé. J'ai raconté les conditions de tournage
des films, les réactions de la presse et du public...
Je résume : entre 1910 et 1914, Olcott tourne 28
films en Irlande : 22 pour Kalem (1910-1912) ; 3 pour Gene
Gauntier’s Feature Players (1913) et 3 pour Sid’s Films
(1914).
Eh bien non ! Le sujet
n’est pas épuisé. Olcott a tourné une 29e film. Il se
nomme « A
Daughter of Old Ireland » .
Il a été réalisé au cours de l’été 1913 pour le compte
de la Gene Gauntier’s Feature Players. Il est sorti aux
États-Unis au début de 1914.
C’est un peu par hasard que
je l’ai découvert, en surfant sur le site Internet
www.newspapers.com qui agglomère les archives de très
nombreux journaux (quotidiens et hebdomadaires)
américains, mais aussi, dans une moindre mesure,
canadiens, anglais et panaméens.
Je suis
en train de faire quelques recherches sur la carrière de
Jack J. Clark, le jeune premier des films d’Olcott et je
tombe sur des publicités et des communiqués annonçant la
projection de « A
Daughter of Old Ireland » , distribué par
Warner’s Features dans des salles aux quatre coins des
États-Unis.
Une histoire résumée en quelques phrases : « Le
château d'un aristocrate et la chaumière d'un paysan,
l'amour d'une jeune Irlandaise charmante et
d'un noble anglais, l'intrigue, la trahison,
l'emprisonnement et la justice, tout cela se mélange
dans une histoire d'amour irlandaise pittoresque et
intensément réaliste. »
Plus intéressant,
quelques articles sont accompagnés de photos dont
l’une que j’ai achetée sur Ebay. On y voit dans une
pièce, Gene Gauntier, Jack J. Clark, des Red
Coats , ces soldats anglais du XVIIIe siècle,
et un homme habillé en gentilhomme brandissant sa
canne avec un rictus de colère. J’ai cru qu’il
s’agissait de Bob Vignola, l’homme qui joue les
« salauds » chez Olcott. Pour moi, cette
photo était d onc tirée d’un
film Kalem mais que je n’arrivais pas à
identifier. Toutefois, une deuxième image, a
priori du
même film, m’a amené à reprendre l'enquête.
Résultat : Non ce n’est pas Vignola le
« méchant », habillé en gentilhomme, mais
Sidney Olcott lui même avec, cette fois, une
attitude avenante. Sur la photo, il y a aussi Gene
Gauntier et un acteur que je n’ai pas réussi à
identifier. Un figurant irlandais ? Plus
vraisemblablement, un comédien américain de la
troupe ou un Anglais engagé à Londres, car Olcott et
Gauntier ont fait un crochet dans la capitale du
Royaume-Uni, avant de rejoindre Beaufort.
Il s’agit donc
d’un film de la Gene Gauntier’s Feature Players. Oui
mais lequel ? Pour moi, il y en avait trois : « For
Ireland’s Sake », « Come back to
Ireland » et « The
Eye of the Government » . L’action des
deux derniers se déroule au XXe siècle. Seul le
premier raconte une histoire qu’Olcott affectionne :
la lutte des Irlandais contre les soldats anglais,
au XVIIIe siècle. Le Canadien y joue un prêtre.
Peut-être interprète-t-il un autre rôle comme cela
se faisait très souvent dans les films du premier
âge. Mais, « For
Ireland’s Sake » a
survécu et on n’y voit guère le réalisateur, habillé
en gentilhomme menaçant Gauntier et Clark.
Mes deux photos
sont donc tirées de « A
Daughter of Old Ireland ».
Alors pourquoi ce
film m’a-t-il échappé ? Au tribunal, mon avocat
aurait des arguments tout trouvés : « Personne
ne l’a identifié. Ni Liam O’Leary, le père de
l’histoire du cinéma irlandais; ni Kevin Rockett,
auteur d’une monumentale filmographie des films
tournés en Irlande; ni David Condon qui a écrit un
livre sur le cinéma muet irlandais et encore moins
l’American Film Institute Catalog qui répertorie
les milliers de films américains produits depuis
1895… »
J’ai donc refait
le parcours que j’emprunte depuis des années pour
conduire mes recherches. En premier lieu, consulter
les journaux professionnels qui sont la base, je
pourrais dire la Bible, du cinéma muet.
Hebdomadaires et mensuels professionnels qui ont
pour nom The
Moving Picture Word, Motography, The Film Index,
The New York Dramatic Mirror, Variety, New York
Clipper … qui distillent des informations
essentielles à tous ceux qui vivent du cinéma :
fabricants de matériels, producteurs, réalisateurs,
acteurs, techniciens, propriétaires de salle… et
historiens. Tandis que les grands journaux passent
sous silence ce phénomène cinéma, trop populaire à
leurs yeux et à l'opposé des attentes de leurs
lecteurs plus "bourgeois", pensent-ils.
Eh bien ! le
dossier de « A
Daughter of Old Ireland » , est quasiment
vide. Incroyable. Ce film n'est pourtant pas l'œuvre
de débutants . Que s’est-il
passé? Il faut revenir quelques mois en arrière.
Alors qu’Olcott est en Palestine pour tourner « From
the Manger to the Cross » , Frank J.
Marion qui ne cesse d’écrire à son réalisateur tout
le bien qu’il pense de son travail en cours, lui
annonce qu’en raison des incertitudes sur le
business du cinéma, il va devoir réduire son
salaire. Toutefois, comme il sait que le Canadien
veut s’établir à son compte, il se propose de
l’aider dans ses démarches, notamment pour obtenir
une licence du trust Edison.
A l’automne 1912,
Olcott démissionne, imité par Gene Gauntier, Jack J.
Clark et Allen Farhnam, le directeur artistique…
Tous intègrent la Gene Gauntier’s Feature Players
dont la feuille de route reprend celle de la Kalem :
hiver en Floride, printemps à Fort Lee (New Jersey)
puis été en Irlande…
Justement l’équipe débarque à Queenstown, fin août
1913. Elle repart le 25 septembre 1913. Et réalise
un nombre de films que la presse professionnelle ne
détaille pas. Quatre films en à peine un mois! Des
trois bobines (30 min) fabriqués en un temps record.
« For
Ireland’s Sake » est à
l’affiche le 12 janvier 1914. Les journaux
professionnels s’en font l’écho avec critiques,
photos et commentaires. « Come
Back to Erin » , sort en mars, sans qu’on
connaisse la date avec précision. Idem pour « The
Eye of the Government », sorti en avril.
Avec de moins en moins d'informations, sans détails ni
anecdotes.
Et rien sur « A
Daughter of Old Ireland » . Le film est
juste mentionné avec les trois autres tournés en
Irlande dans une pub de The
Motion Picture News (13/06/1914, p.10) (voir
ci-contre), à l’occasion de la deuxième foire
internationale consacrée au cinéma du 8 au 13 juin,
au Grand Central Palace, Lexington Avenue, à New
York, où Gene Gauntier Feature Players partage un
stand avec les autres producteurs distribués par
Warner’s Feature dont celui de Sidney Olcott.
Quelques semaines auparavant, Motography (7/03/1914,
p.16) dans une publicité de Warner’s Feature vante
les films irlandais de Gene Gauntier Feature Players
au nombre de… trois dont « A
Daughter of Old Ireland » . Manque « Come
back to Erin » .
Alors comment
expliquer que ce film, malheureusement disparu comme
beaucoup de films muets, a-t-il pu échapper à la
sagacité des historiens ? Je propose quelques pistes :
Gene Gauntier a arrêté son autobiographie Blazing
the Trail à
la fin de la période Kalem. Elle n’a pas raconté
l’aventure de sa compagnie, ni sa séparation
artistique avec Olcott. Bien préjudiciable au moment
de raconter cette histoire. Ce divorce intervient
alors que les films « irlandais » ne sont
pas encore distribués. Et le Canadien est occupé à
constituer sa propre maison de production.
A ce moment, Warner’s Feature ne semble pas être à la
hauteur des autres distributeurs. Elle n'achète pas de
pub ni distribue de communiqués dans les journaux
professionnels. Elle ne dépose pas non plus de
copyright. Dur dur pour les historiens !
Heureusement la presse américaine, locale
et régionale, permet de combler les failles des
journaux professionnels. La plupart du temps, elle se
contente de reproduire les communiqués fournis par les
directeurs de salle, rédigés par les distributeurs. Il
n’y a pas encore de critiques de cinéma pour éclairer
les spectateurs.
Le grand historien du cinéma, Jean Mitry,
m’avait dit lors d’une rencontre à sa domicile : « Le
cinéma muet c’est de l’archéologie. » CQFD.
Articles complémentaires
A Daughter of Old Ireland
Archives
L'enfant
caché de Gene Gauntier
The Humming Bird projeté en Finlande
et au Brésil mais pas en France
Olcott utilise
la Bible de James Tissot comme storyboard
Olcott
: "Je suis joignable à l'Hollywood Athletic
Club"
Des séquences de The Right Way
(1921) disponibles sur Vimeo
Stan
Laurel parodie Valentino dans Monsieur Don't
Care
Une séquence de Monsieur
Beaucaire dans le biopic Valentino
(1951)
The Paymaster le
tout premier rôle de Gene Gauntier au cinéma
Olcott au travail sur
les plateaux de cinéma
Derrière Chantons sous la
pluie ,
Monsieur
Beaucaire
Sidney
Olcott réalise des dessins animés
A Los
Angeles, Gene Gauntier retrouve les
anciens de Kalem
La
liste des films d'Olcott toujours visibles
Deux
Olcott parmi les 50 films préférés de D.W. Griffith
Les
films de Sidney Olcott sortis en France
A Hollywood, Sidney Olcott est le roi
du déménagement
Tony Slide ouvre un
nouveau chapitre sur les O'Kalems
Malcolm
Lowry, Robert Desnos et Sidney Olcott
Sur le plateau de Monsieur Beaucaire
parlez français!
Le certificat de décès
de Gene Gauntier à Cuernavaca
Morte
au Mexique, Gene Gauntier est enterrée en Suède
Voir
la vidéo de Egypt as it Was in the Time of Moses
Olcott
tourne The Amateur Gentleman chez un avocat
Valentine
Grant, jeune fille
Sur
RTE Radio, l'histoire
des O'Kalems
Dans les
archives de RTE, l'épopée des O'Kalems
Vignola
raconte les conditions
de la mort d'Olcott
Sur les
traces d'Olcott en Egypte et en Palestine
Le Christ
d'Olcott n'est pas
celui qu'on croit
Olcott
a cherché à devenir
un citoyen américain
Philly, le domestique d'Olcott
disparaît en Egypte. Assassiné ?
Enfin ! La tombe d'Olcott existe.
J'ai vu sa photo !
Le beau-frère de Gene Gauntier est le
Bill Gates de l'époque
Happy
Birthday,
Miss Valentine Grant
Un meurtre dans l'immeuble d'Olcott